En Oregon, l'Amérique rurale rêve de sécession

Lorsque le soleil brille sur son village de Joseph en Oregon, Debbie Price aperçoit au loin les cimes enneigées des "Sept Diables", les pics des Rocheuses qui marquent la frontière avec l'Idaho.

Mais, pour cette Américaine, cette démarcation n'a plus lieu d'être.

Comme beaucoup d'habitants de l'est de l'Oregon, cette retraitée de 64 ans envisage de redessiner la carte de la région pour que sa terre natale fasse "sécession" et rejoigne l'Etat conservateur voisin.

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"Il y a beaucoup plus de libertés en Idaho qu'ici", estime auprès de l'AFP l'ex-assistante juridique, qui s'est remariée là-bas pendant la pandémie pour échapper à l'interdiction des cérémonies dans son Etat.

Durcissement des prérequis pour porter une arme à feu, dépénalisation de l'usage de drogues, soutien à l'avortement, aux personnes transgenres et aux drag-queens...

Dans sa maison perdue au milieu des sapins, cette fille d'éleveur grimace devant "le programme woke" en vogue à Portland, la métropole progressiste de l'ouest de l'Etat.

"Peut-être que je suis vieux jeu", lâche cette fervente chrétienne, en vantant l'interdiction de l'avortement par l'Idaho. "Je n'ai pas envie d'aller de l'avant et d'adopter ce vers quoi le monde tend aujourd'hui."

L'Oregon n'a plus élu un gouverneur républicain depuis 40 ans.

Il est pourtant très divisé: lors des dernières élections de mi-mandat en novembre, seuls six comtés sur 36 ont voté démocrate, mais ce sont les plus peuplés et ils emportent systématiquement la mise.

- "Grand Idaho" -

Dans l'est très rural de l'Etat, nombre d'électeurs sont lassés d'être dépossédés par l'élite urbaine proche de la côte Pacifique.

Pour conjurer le sort, une idée insolite a émergé: et si l'on bougeait la frontière, pour créer un "Grand Idaho" englobant la moitié de l'Oregon?

Sur les 15 comtés de la partie orientale, 11 ont déjà voté pour forcer leurs responsables locaux à discuter régulièrement des modalités d'une hypothétique sécession. Celui de Wallowa, où vit Mme Price, doit se prononcer sur une mesure similaire.

De quoi générer une certaine agitation dans ce petit coin d'Amérique comptant moins d'un habitant par kilomètre carré. Dans l'immensité des plaines vallonnées, les pancartes exigeant de "déplacer la frontière de l'Oregon" fleurissent aux côtés des écriteaux "Trump 2024".

Les locaux fustigent les "lois à taille unique" qui méconnaissent leur mode de vie rural.

Certains râlent de ne pas pouvoir tuer les loups menaçant le bétail aussi facilement que dans l'Idaho voisin. D'autres déplorent le déclin de l'industrie du bois à cause des limites imposées en matière d'exploitation forestière, qui ont entraîné la fermeture de nombreuses scieries. Sans compter les sérieux doutes face à la course aux véhicules électriques et aux projets d'interdiction du diesel.

"Cela détruirait notre économie", s'indigne le bûcheron Garrett Mahon. Sur un terrain reculé appartenant à sa famille depuis un siècle, il empile les troncs d'arbre à l'aide d'une imposante machine qui "ne pourrait jamais fonctionner sur batterie", comme celles de nombreux agriculteurs. D'autant que les hivers glaciaux d'Oregon réduisent leur autonomie, rappelle le quadragénaire.

- "Guerres culturelles" -

"Je ne pense pas que nous ne ferons plus partie de l'Oregon, cela implique tellement de choses pour tenter d'y parvenir", confie ce chasseur, qui a toujours un fusil semi-automatique dans son pick-up. "Mais peut-être qu'en s'en rapprochant comme on le fait, ils écouteront."

Modifier la frontière nécessiterait l'accord des parlements d'Idaho et d'Oregon, puis du Congrès à Washington. Un scénario hautement improbable, même dans une Amérique où le séparatisme fait partie intégrante de la psyché politique - la guerre de Sécession a donné naissance à la Virginie-Occidentale en 1863, et la Californie a subi plus de 200 tentatives d'éclatement.

Les électeurs démocrates du coin s'en moquent ouvertement lors d'un pique-nique où ils offrent des cartons aux mécontents pour déménager. Mais derrière leur désinvolture apparente, certains rient jaune.

"La démocratie américaine est en difficulté, (...) il y a tellement de guerres culturelles", soupire Devon Maxwell. Pour cette juriste de 27 ans, "le mouvement du +Grand Idaho+ (...) enflamme la situation et les divisions qui existent déjà."

A force d'être martelée, l'idée fait son chemin: en février, la Chambre des représentants de l'Idaho a adopté une résolution pour évaluer ses implications.

De quoi galvaniser les partisans d'un "divorce", comme Curt Howell. Ce semencier de 67 ans espère inspirer bien au-delà de l'Oregon.

"On pourrait redessiner les frontières dans tout l'Ouest américain, (...) c'est toujours plus facile de vivre avec des personnes partageant les mêmes idées", s'enthousiasme ce tenant d'une ligne pacifique. Mais "si rien ne s'améliore en Oregon dans les cinq à dix prochaines années, cela pourrait déraper."

rfo/seb/fal