Les Bleus, diamants taillés pour souffrir

LIGUE DES NATIONS – Pourquoi l’équipe championne du monde peut-elle se retrouver en difficulté contre des équipes présumées plus faibles ? Parce qu’elle a un style et un mental taillés pour les matchs décisifs. Quitte à faire peur le reste du temps.

Griezmann face à la Belgique (AFP)
Griezmann face à la Belgique (AFP)

Comme un air de déjà-vu. Il est 21h50 jeudi dernier à Guingamp, mais on se croirait quelques semaines plus tôt, en Russie, lorsque les Bleus peinaient à se sortir de rencontres piégeuses contre l’Australie, le Pérou ou le Danemark. Le point commun entre ces derniers et l’Islande ? Des adversaires présumés inférieurs face auxquels la France se doit, normalement, de l’emporter. Des oppositions face à des blocs regroupés, mais aussi des rencontres à l’enjeu au mieux indirect, quelles soient non éliminatoires ou amicales. Et, au coup de sifflet final, des copies pas franchement emballantes. À croire que cette équipe de France n’aime pas vraiment jouer au football. Que ce qu’elle préfère, c’est gagner, et de préférences les matchs qui comptent vraiment. Que c’est quand ça devient dur que les Bleus se révèlent très bons.

« Ça c’est mon jeu ! »

Il faut écouter Paul Pogba motiver les troupes, avant le huitième de finale face à l’Argentine : « On veut voir des guerriers sur le terrain ce soir ! Je veux pas rentrer ce soir. Demain, on sera encore à l’hôtel, on va encore bouffer ces putains de pâtes ! » Il faut écouter Antoine Griezmann, toujours dans le documentaire Les Bleus 2018 : Au cœur de l’épopée russe, au sortir de la demi-finale arrachée de haute lutte à la Belgique : « On n’a pas joué comme l’Atlético gros ? L’Atlético gros ! se régale l’attaquant colchonero. Tous derrière, on resserre les lignes et un but sur coup de pied arrêté. Et on ferme la maison gros ! » Avant de conclure d’une phrases sans ambiguïté quant au style des Bleus : « C’est les victoires que je kiffe ! Ça c’est mon jeu ! C’est un kiff ! »

C’est tout le paradoxe français actuel : un gisement de diamants bruts taillés non pas pour briller, mais pour souffrir. À l’instar du Cholo Simeone avec Griezmann, Hernandez et, bientôt, Lemar, Didier Deschamps a su faire intégrer à des joueurs diaboliquement talentueux que la gagne passerait par la sueur plus que par le jeu. Une philosophie propre à la Dèche ? Pas seulement. C’est aussi le résultat d’une analyse lucide des forces bleues : une charnière solide emmenée par Champions League Varane, un récupérateur de classe mondiale en la personne de Kanté, le jeu long de Pogba, la vitesse de Mbappé, le combat de Giroud, et donc la grinta personnifiée par Griezmann. Avec les manieurs de ballon qu’il a en réserve, Deschamps est en mesure de changer son fusil d’épaule, c’est même un des axes de développement de cette équipe. Si elle arrive à garder cette approche des grands matchs, elle n’en sera alors que plus dangereuse.

Seine-Saint-Denis Style

En attendant, il faudra peut-être s’habituer à trouver le temps long lors des rencontres au prestige moindre. Car pour que le plaisir pris dans ce style de jeu surgisse, et donc que la magie opère, les Bleus ont besoin de sentir l’épée de Damoclès flotter au-dessus du terrain ou bien le frisson d’une opposition face à un grand du football. Malgré le développement spectaculaire du football islandais, impossible de ranger les Strákarnir okkar dans cette dernière catégorie. L’Allemagne, même dans le dur depuis un an, même giflée par les Pays-Bas il y a trois jours (3-0), si. Ce sont quatre titres mondiaux et trois trophées continentaux qui débarquent en France ce soir. Soit exactement ce qu’il faut aux Bleus pour briller de leur éclat bien particulier. Ça tombe bien, c’est dans son écran dionysien que cela se passe.